Et si vous n’êtes pas du tout du matin ?

Face à la multitude d’articles publiés en quelques mois sur la folie des morningophiles, l’un d’entre eux, paru dans le mensuel Management en juin 2016, a particulièrement attiré mon attention, « Le diktat des lève-tôt : faut-il vraiment se lever tôt pour réussir ? » :
« Attention à la tyrannie des perfectionnistes ! Pour autant, doit-on accepter cette dictature d’une poignée de lève-tôt et se sentir tout penaud parce que le soleil brille déjà quand on ouvre les rideaux ? (…) Alors si vous décidez de vous rendre à un beforework, soyez sport : évitez de faire du bruit exprès ce matin-là et laissez votre partenaire dormir tranquillement. Rappelez-vous : le roupillon n’est pas plus un signe de décadence morale que de médiocrité ! ».


M’intéressant de près, dans le cadre de mes activités, à la chronobiologie, je m’interroge sur les répercutions à long terme de cette mode venue d’outre-manche, qui « incite à vouloir faire rentrer tout le monde dans le rang et donne l’illusion qu’on peut maîtriser son corps, son sommeil, sa santé, et même son épanouissement ». 

Les morningophiles sont décrits comme « des personnes curieuses et dynamiques, qui aiment créer et entreprendre ». Ce sont généralement des trentenaires qui travaillent dans les nouvelles technologies, des entrepreneurs ou des artistes. Leurs motivations varient : profiter du calme des premières heures, être plus productif, aborder la journée de façon plus sereine…

Mais ces réveils ultra matinaux conviennent-ils réellement à tout le monde ? Pas si sûr quand on sait combien il importe pour chaque personne de respecter ses besoins spécifiques, non seulement en termes de durée du sommeil, mais aussi de rythme : les risques d’hypertension, de diabète, d’obésité et de diminution des défenses immunitaires sont directement liés au manque de sommeil. La majorité des personnes a besoin de dormir huit heures en moyenne, en général de 23 heures à 7 heures. Seule une poignée de petits dormeurs (20 % seulement) a besoin de moins de six heures par nuit.

Entre le temps libre du soir et le temps libre du matin, il vous faudra donc choisir, sous peine de déséquilibrer votre rythme biologique personnel. Selon Joëlle Adrien, neurobiologiste et présidente de l’Institut National du Sommeil et de la Vigilance, contraindre son horloge biologique interne est délicat :

« On peut la modifier un peu, mais au prix d’une régularité sans faille. Réglée génétiquement, elle reviendra toujours naturellement à son rythme. »

Si l’idée de vous lever tous les matins à 5 heures 30 pour lire, aller courir ou méditer ne vous enchante guère, rassurez-vous, votre vie n’est pas foutue pour autant, pas plus que vous n’êtes un loser ! Relevez la tête et regardez plutôt les autres marges de manœuvre dont vous disposez dans votre agenda : pause méridienne, fin de journée, soirée, week-end, journées off, temps dédié à la réflexion en cours de journée, les occasions ne manquent pas.

Ne vous conformez pas aux diktats imposés par la société, bousculez les codes et choisissez plutôt, une fois vos réelles contraintes identifiées, le rythme de vie qui vous correspond, à vous, indépendamment des modes et des recettes clés-en-main, aussi séduisantes soient-elles.


Le témoignage de Laure, jeune entrepreneuse qui travaille dans un espace de coworking

« Mon problème principal n’est pas tant l’organisation que la culpabilité de ne pas avoir de rythme imposé. C’est cette culpabilité qui m’empêche de respecter mon besoin de sommeil quand il faut dormir plus, de prioriser mieux et d’accepter que le travail efficace ne signifie pas être devant son ordinateur 7 heures par jour, juste parce que « le chef d’entreprise est censé travailler énormément pour réussir ». En fait, si je priorise bien mes actions, je peux me permettre de travailler autant qu’aujourd’hui, mais en me sentant satisfaite et en incluant mes loisirs et le sport d’une façon plus flexible.

Mon problème principal n’est pas tant l’organisation que la culpabilité de ne pas avoir de rythme imposé.

Je suis piégée par l’idée que je suis quelqu’un d’intrinsèquement fainéant qu’il faut obliger à travailler et faire rentrer dans des cadres, je me demande si, finalement, ce n’est pas juste mon regard sur l’organisation qui pose problème et m’empêche de mettre des loisirs et du plaisir dans mon emploi du temps parce que je pense que « je n’en fais jamais assez ». Je n’avais jamais vu les choses comme ça avant …

J’ai remarqué que si je prends le temps le matin sans culpabiliser, je suis en meilleure forme, je suis beaucoup plus sympathique. L’après-midi est souvent suffisant pour accomplir ce que j’ai à accomplir et finir à 18h. J’ai alors toute la soirée pour moi. Si je suis honnête avec mes priorités, je n’ai pas tant à faire que ça pour que les choses fonctionnent.

Je suis quelqu’un de très efficace, et travailler de longues journées me vide de mon énergie. Ça me dérange moins de finir plus tard si j’ai une deadline, mais depuis toujours, je suis incapable de me lever plus tôt pour le travail (même pour réviser un examen ultra important).

J’ai besoin de beaucoup de sommeil pour être en forme et d’une vie sociale pour bien fonctionner. Je me sens toujours très inefficace le matin, peu importe l’heure à laquelle je me lève, j’arrive toujours assez tard au boulot. Pour arriver tôt, la seule solution est de me lever à l’aube ou de ne pas suivre de rituel particulier : douche puis go.
J’ai aussi deux manques : l’impression de ne pas avoir le temps pour le sport, pour les loisirs, alors que je n’ai pas non plus l’impression de bosser comme une dingue sur mon business.

Je voudrais garder une ou deux de ces matinées pour apprendre et devenir encore meilleure dans ce que je fais. Cela me manque de ne pas me former plus. J’ai plusieurs cours excellents que je n’ai pas eu le temps de finir, je rêve de me mettre en mode « étudiante » quelques heures par semaine.

Ce que je veux :

  • Du temps pour apprendre
  • Du temps pour mes loisirs
  • Du temps pour le sport

J’aimerais tester de ne pas travailler le matin avec l’autorisation officielle de faire ce qui me nourrit et qui ne s’apparente pas au boulot. »*